Kii Kanla? Lumu nu indaaleel? n° 6
Invité Prof Dr Dr Tidiane Ndiaye
2014
FIN DU DEBAT SUR L’EGYPTE PHARAONIQUE
Cher Pofrima Jëwriñu SEMEtt,
je prends acte de l’intervention de Grégoire Biyogo sans commentaires, du fait que les éléments avancés dans sa démonstration, sont les mêmes que ceux de notre ainé Cheikh Anta Diop. Ils sont connus depuis longtemps, débattus, approuvés ou contestés notamment par la quasi-totalité de la communauté scientifique qui fait autorité. Et pour évacuer toute dimension polémique dans cet échange, je ne m’attarderais pas sur les critiques formulées par Grégoire Biyogo concernant mes travaux. Leur reconnaissance et leur crédibilité, sont attestées comme tout le monde sait, par la plupart des grandes institutions académiques du monde qui font autorité, et les ont inscrits dans leurs programmes d’études et de recherches. Ceci est la meilleure réponse et c’est ce qui explique la grande visibilité de mes travaux édités, traduits, largement commentés dans le monde et enseignés pour certains. Pour les reste, c’est avec plaisir que j’avais accepté d’être l’invité de ce numéro de KI KAN LA, souhaitant un débat serein comme on en voit partout sur les autres sites. S’il faut saluer la grande courtoisie et l’érudition de Grégoire Biyogo, il semble que dans la plupart des sites fréquentés par les Africains, les choses débordent et tournent très vite aux invectives et autres attaques injurieuses, dès lors qu’on a osé explorer sur l’Egypte, une piste différente de celle empruntée par Cheikh Anta Diop. Aussi, dans la deuxième partie de KI KAN LA, si nous n’avancions pas sur les autres travaux de mon œuvre, avec le souci que votre position de modérateur puisse évacuer les attaques injurieuses et haineuses de certains intervenants, je choisirais d’interrompre cet échange.
Enfin pour être complet sur la question de l’Egypte antique, comme certains éléments ne figuraient pas dans mon premier texte, j’ai choisi de vous envoyer ce dernier complément. Etant entendu que le but ici n’est pas de présenter une contre-thèse des travaux de Cheikh Anta Diop, d’autant que pour repasser en revue et sérieusement son œuvre, il faudrait replonger dans ses aspects iconologiques, herméneutiques, linguistiques, astronomiques, sans parler de cosmologie quantique, de religion et autres domaines sociopolitiques. J’ai pris connaissance avec respect, des remarques de Grégoire Biyogo et voudrais conclure comme suit : Sur l’Egypte antique, la synthèse qui figure sur mon précédent texte a permis à ceux qui suivent cet échange, de prendre connaissance de ce que les plus grands anthropologues, historiens, égyptologues, linguistes, généticiens du monde et qui font référence, ont produit sur la question et leur position clairement opposée à la thèse de notre ainé Cheikh Anta Diop. Ceci est d’autant plus pratique, que pour ce qui me concerne, je suis notoirement connu pour ne jamais donner dans ce lot de chercheurs, qui se bombardent abusivement « spécialistes pluridisciplinaires », sans en maitriser une seule en réalité. Comme à mon habitude, j’éviterais de procéder ici par des démonstrations de pédantise, ou un exercice intellectuel de sémantique pompeuse et « pompante », ou de perdre du temps à surfer dans les eaux troubles de l’Historiographie, des Epistémologie, Méthodologie et autres prospective philosophique, sans aucun intérêt pour la plupart de ceux qui nous suivent. Ce genre de démonstrations comme pour élaborer un « Essai sur la rhétorique grecque avant ou après Aristote », ne ferait qu’embrouiller ce sujet, que les internautes du site gagneraient à voir clairement traité. Aussi, je vais être le plus concis possible, et à la portée du plus grand nombre de compatriotes. Pour ce qui est du peuplement du Sahara comme je l’ai rappelé, les récentes découvertes de Paul Sereno, professeur à l’Université de Chicago et explorateur pour le National Geographic, confirment qu’entre 7 et 5 mille ans avant la construction des pyramides, les peuples de chasseurs-cueilleurs les plus anciennement installés en ces lieux – plus massivement au centre du Sahara -, furent les Kiffians et les Ténéréens. Puis il y’eut un peuplement assez complexe avec les « Têtes rondes », qui deviendront des Bovidiens mélanodermes, c’est-à-dire des Nègres purs parlant une langue nilo-saharienne et des Protoberbères. Mais de manière très précise dans toute la partie nord de cette région, les Anciens Grecs parlaient de Lybie. Ceci par opposition à celle qui sera localisée de l’autre coté du Sahara, après la désertification de la région. Ils appelaient les peuples de cette partie déjà subsaharienne « Ethiopiens », qui signifie en grec « visage brûlé » (Αἰθιοπία / Aithiopía, de αἴθω / aíthô « brûler » et ὤψ / ốps, « visage ». Cette appellation comme vous savez cher collègue, est née de la légende de Phaéton, issu de l’union d’Hélios et de Clymène, épouse de Mérops, roi des Éthiopiens. La légende raconte que dans sa folle course à travers le ciel sur le char de son père, il s’approcha trop près du sol de la Terre.
C’est ainsi que les populations vivant dans ces régions, furent alors brûlées et marquées héréditairement (mélanodermie), ce qu’il faut simplement interpréter comme un phénomène de désertification. La différence voire la séparation, était donc faite entre « Blancs » et « Noirs » dans l’esprit des anciens Grecs. L’éminent historien africain Joseph Ki-Zerbo, nous dit que : « C’est à partir de la désertification du Sahara que ces Noirs, de mœurs agricoles, s’en seraient allé chercher des terrains plus humides vers le Levant ». Voilà pourquoi les Anciens Grecs donnaient à la partie septentrionale de l’Afrique le nom de Lybie, habitée par des « Peau Claire » par opposition à ceux de l’autre coté du Sahara peuplé de « Ethiopiens ». Et jusque vers -4500, l’Afrique du Nord était peuplée d’Hommes de Chancelade et d’Hommes de Cro-Magnon. Ces hommes étaient les ancêtres des proto-berbères. C’est à eux qu’on doit aujourd’hui les cultures capsienne et oranienne du paléolithique supérieur (les derniers chasseurs-cueilleurs sont représentés dans le nord de l’Algérie par les Capsiens, attestés jusqu’à il y a 8 000 ans ) ainsi que certaines des peintures rupestres du Sahara, qui apparaissent vers -6000. Le néolithique y était une période florissante, en raison d’un climat globalement plus humide que l’actuel et donc d’une flore et d’une faune beaucoup plus riche. Les Hommes de Chancelade et de Cro-Magnon, étaient sans nul doute du fait de la « continuité géographique » et climatique de la région, présents aussi en Egypte. Ils ont par conséquent constitué les premières dynasties égyptiennes, antérieures aux invasions sémitiques de -2270. Des peintures de la III° Dynastie, entre -3000 et -2723, signalent pour la première fois, la présence d’Hommes dépigmentés. Sur ces peintures leur représentation n’est nullement négroïde. Seuls sont « brunâtres » les personnages de basse condition qui y sont représentés c’est-à-dire les laboureurs, les pasteurs et autres bateliers. Nombre de sociétés de l’Antiquité étaient multiethniques, leur mode de fonctionnement étant basé sur une stricte inégalité sociale, selon un système de castes raciales hiérarchisées, endogames et héréditaires. Comme des Nubiens étaient déjà employés en Egypte, certains chercheurs idéologues et négrophobes, leur ont attribué une hypothétique place d’esclaves dans cette configuration ethno-sociale. Toujours dans l’identification ethnique des dynasties égyptiennes, nous savons que vers -2723 Snéfrou, fondateur de la IV° Dynastie, avait épousé une princesse libyenne et son fils Khéops, à qui on attribue la grande pyramide, eut une fille aux cheveux « blonds » d’apparence (certains diront aux cheveux décolorés au Hénin), que nous montrent les bas-reliefs polychromes de l’époque. Notons que Cheikh Anta Diop a également avancé cette hypothèse parlant de Ramsès II. Mais l’analyse faite de sa momie à Paris en 1977, a établi que Ramsès II était roux (Une pigmentation des cheveux inhabituelle chez les populations négroïdes). Je n’ai pas observé de réaction de la part de CAD. A partir du VIème siècle av J-C, des inscriptions mentionnent des hommes dolichocéphales de haute taille, de type sémite et qui peuplaient toute l’Afrique du Nord, du lac Fayoum (frontière occidentale de l’Egypte) à l’Atlantique, jusqu’aux îles Canaries. Ces hommes qu’on appellera aussi des Libyens et qui furent chassés de leurs contrées septentrionales par la lente remontée des eaux, étaient aussi dépigmentés.
Par la suite, de multiples peintures, bas reliefs et inscriptions, échelonnés sur trois millénaires, nous donnent des représentations et des descriptions parfaitement concordantes, confirmées encore par les textes des historiens égyptiens et grecs. Ils nous apprennent que bien des pharaons, au cours de cette période, prennent femmes chez ces Libyens – tel Aménophis III, de la XVIII° dynastie. Il y est dit que seul son fils Aménophis IV auteur du culte solaire sous le nom d’Akhenaton, aura enfanté avec une nubienne, d’où le métissage de sa descendance qui est aujourd’hui attesté par la génétique. Un métissage qui visiblement sera une donnée constante dans l’histoire de ce pays. Ceci est une excellente transition, pour dire que sur la question qui nous intéresse ici, seul l’éclairage de la science génétique constitue quelque chose de nouveau ou « un plus ». De récentes études sur les populations du Nord de l’Afrique, essentiellement maghrébines et égyptienne, révèlent effectivement des traces « négroïdes » persistantes dans leur patrimoine génétique. Mais le déséquilibre saisissant entre les lignées matrilinéaires sub-sahariennes (25 %) et les lignées patrilinéaires (40 %,), démontrent à l’évidence que la presque totalité de ces croisements, impliquait des hommes de type sémite avec des femmes noires et non l’inverse. Leur taux de « marqueurs négroïdes » est donc attesté par la science. Cependant, en dépit de ce constat, nous, témoins contemporains, constatons sans ambigüité que ni ces populations ni leurs civilisations ne sont négro-africaines, mais berbères et de type sémite et méditerranéen. Pour ce qui est du passé de cette même région, il est communément admis que depuis la nuit des temps, les monarques régnants au Maghreb et en Egypte, hauts fonctionnaires comme clergé, avaient de nombreuses Ethiopiennes et Nubiennes dans leurs harems, une « denrée » particulièrement recherchée. Rien d’étonnant que l’analyse de l’ADN de certains de leurs descendants, révèle des marqueurs, comme ces éléments de mélanine, voire même des maladies proches de celles spécifiques aux Négro-africains comme la drépanocytose. Ces variables biologiques, on les trouve même chez une parente proche de Cléopâtre, qui était pourtant descendante de la lignée grecque des Ptolémée. Et la génétique n’a jamais conclu qu’elle était noire, mais africaine. Bien évidemment, l’Egypte se situe géographiquement en Afrique. Ces éléments étaient aussi présents chez Toutankhamon fils d’Akhenaton (Aménophis IV). Notons que l’Egyptologie n’a jamais identifié, qui d’Aménophis III ou IV avait procréé le premier avec une Nubienne. La génétique ne dit pas que Toutankhamon était noir.
Une certitude cependant, est que Toutankhamon, bien que de mère nubienne pouvait parfaitement présenter le type sémite. Ce sont les scientifiques du centre généalogique de Zurich, qui ont reconstitué le profil génétique du jeune pharaon, mort à 18 ans. Nombre d’ « Afrocentristes Kémetes » agitent souvent ces résultats. Cependant, ils oublient de dire que Toutankhamon appartenait au groupe de profil génétique qualifié de « haplogroupe R1b1a2 », qu’on ne trouve presque nulle part en Afrique subsaharienne. Et seul environ 1% de la population égyptienne actuelle appartiennent à ce groupe, qu’on trouve pourtant chez près de la moitié des Européens de l’Ouest, avec des pointes à 70% dans les populations de Grande-Bretagne et d’Espagne et 60% chez les Français. Par conséquent, la présence de « marqueurs génétiques négroïdes » chez un individu, n’en fait pas automatiquement un Noir. La preuve vivante d’une telle réalité est d’autant plus sous nos yeux de témoins contemporains, que Mohamed VI, actuel roi du Maroc, fils d’Hassan II de mère métisse, comme le chanteur Julien Clerc de grand-mère antillaise, tous pourtant totalement leucodermes de type sémite ou indo-européen, sont aussi porteurs de ces éléments. Au demeurant, la « nouveauté scientifique » que pourrait constituer ces études génétiques, ne prouve qu’un certain degré de métissage, et qu’aucun chercheur n’a jamais contesté à la population de l’Egypte antique. De là à vouloir la « négrifier » totalement, il y a un pas qu’aucune thèse – exceptée celle de Cheikh Anta Diop -, n’a jamais franchi. Mais de nos jours ignorant toute précaution scientifique et regard distancié de cette époque, chez les activistes « diopistes » pour qui, puisque la science a trouvé des « marqueurs génétiques négroïdes » à ces personnages, ils étaient noirs. A une infinie distance de ces grands mouvements d’esprit, approches militantes, revanchardes et engagées de l’histoire, ou gymnastiques pseudo scientifiques plus ou moins habiles, ma vision personnelle de cette civilisation pharaonique, en dépit du métissage incontesté d’une partie de sa population, penche pour son rattachement à celles du nord de l’Afrique et du Proche-Orient antique. Et que l’immense majorité de sa population est intégrée depuis toujours, au groupe proche des Berbères, avant d’être progressivement métissée (différentes invasions) et profondément sémitisée à partir de la première expansion islamique du 7ème siècle de notre ère. Toutes les analyses phylogénétiques, placent les Égyptiens dans le sous-ensemble génétique « berbère », proches des Libyens, des Marocains et des Tunisiens. Elles démontrent également, qu’en fonction du principe généalogique, les traces des peuples envahisseurs — en l’occurrence, de nature essentiellement morphologique — restent inscrites dans l’identité biologique des Egyptiens actuels. Comme les seules populations qui ont envahi ce pays, étaient asiatiques, grecques, arabes, turques etc., donc de type ethniquement voisin et non négro-africain, ceci explique que la population égyptienne actuelle, ne soit ni noire ni européenne, mais de type sémite et méditerranéen.
Et dans ce creuset, à l’instar de ce qu’affirmait Hérodote, les Coptes seraient les véritables et authentiques descendants des anciens Égyptiens, issus d’un métissage entre Assyriens (ou autres sémites) des premières invasions et Nubiens voire Éthiopiens, et non pas des « Nègres de l’intérieur de l’Afrique » ou « de vrais Nègres de l’espèce de tous les naturels de l’Afrique ». Dans une autre dimension qui relève de simple logique, la thèse d’une Egypte totalement négro-africaine serait battue en brèche par la géographie. Comment ce pays qui est le plus situé, voire même collé au Proche – Orient, bien au-delà de la Mauritanie, de l’ex Sahara espagnol, du Maroc, de la Libye et de la Tunisie, qui font tous tampon avec l’Afrique noire, et tous peuplés depuis toujours de Berbères ou de types profondément sémites, pourrait-il être le seul pays peuplé de négro-africains depuis les origines ? Alors que cet espace est le plus éloigné de la partie subsaharienne du continent, isolée par le Sahara ? C’est tout simplement un non sens et un défi à la géographie… En fait le seul pays peuplé de Négro-africains et ayant une frontière depuis toujours avec l’Egypte, est le Nord du Soudan c’est-à-dire la Nubie voisine aussi de l’Ethiopie. Cette frontière séparait donc les peuples noirs des Sémites. Notons que l’Egyptologue Jean Yoyotte rapporte qu’il aurait dit un jour à Cheikh Anta Diop : « il n’y a des langues sémites et non pas de peuples sémites. » Comme les Soudanais bien que noirs, parlent une langue sémite alors confusion ou « fusion volontaire » avec le Egyptiens pour mieux tout négrifier ? Quel que soit Alpha, la seule marque négro-africaine que je reconnais à l’Egypte antique, est celle issue de ce territoire frontalier, c’est-à-dire un métissage depuis toujours entre les deux peuples puis, les monarques de la 25ème dynastie dite « des pharaons noirs » nubiens, ayant régné en Egypte. Les guerriers de ce peuple noir à la stature athlétique, conquirent le royaume d’Égypte vers 730 avant notre ère. C’est le roi Piyé Menkheperret (747-715), surnommé « le Vivant », fils du roi napatéen Kashta, qui fut à l’origine de cet exploit. Comme dans le premier résumé de mon texte sur ce site, ne pouvaient figurer certains aspects de ma thèse, ici cher Pofrima, je vais être plus précis, pour que ceux qui nous suivent puissent comprendre la réelle et profonde implication entre civilisation « Negro-nubienne » et « sémito-égyptienne », à un moment de l’histoire, et qui a dû induire Cheikh Anta Diop en erreur, ou qui l’a conduit sciemment à élaborer sa thèse. Dès le début de son règne, le premier pharaon noir nubien Piyé, soumit totalement l’Égypte, alors affaiblie par des Raméssides, en réunifiant le Nord et le Sud avant de s’en retourner à Napata. La première stèle de l’an 3 rapporte la confirmation de Piyé comme roi d’Égypte et de « tous les pays » et qui porte les couronnes royales reçues d’Amon de Napata. Sous le règne de Piyé, l’empire bénéficia d’une politique de stabilité et de paix. Son ambition était de restaurer la Maât et de préserver l’empire d’Amon de Napata. Maât comme vous le savez, est dans la mythologie égyptienne, la vénérable déesse symbole de l’ordre cosmique, de la justice et de la vérité, considérée comme la fille du dieu solaire Rê. Elle symbolise l’équilibre de l’ordre de l’univers et établit le code de comportement des êtres humains, dont s’inspirait Piyé.
Ce dernier appliquera un programme religieux grandiose et sans précédent. Couronné à Thèbes, il devint « l’Horus qui a unifié ses Deux-Terres. » Le culte d’Amon s’étendit alors aux villes militaires telles que Pnoubs, Kawa et Napata. Le pharaon Shabaka, quant à lui, devait préserver l’unification de l’Égypte et la Nubie au sein de l’empire. Il soumit à l’empire de Koush, la vallée entière du Nil jusqu’au Delta. La grande politique du Proche-Orient amène les Couchites vers l’Asie où la poussée des Assyriens commençait à se faire sentir. Un autre pharaon noir de la XXVème dynastie qui se distingua fut Taharqa Nefertemkhoure (690-664.) Il est généralement représenté avec la « calotte » propre aux rois couchites, sur laquelle se dressent les deux uraeus insignes de la double royauté de la Nubie et de l’Égypte. Il est le seul pharaon à être cité par son nom dans la Bible. Au cours de la construction ou de la rénovation des temples de l’empire, l’Égypte et la Nubie vécurent une période de paix et de prospérité. Taharqa fit ériger, au pied du Gebel Barkal, qu’on peut encore admirer au Soudan actuel, un temple dédié à Amon qui rivalisait de grandeur avec celui de Karnak. En Nubie, il fit de la ville de Kawa le second grand centre religieux, qui deviendra plus tard le lieu d’intronisation des rois couchites. Sous son règne, l’art couchite assimila les normes égyptiennes. En 674 avant notre ère, une attaque des Assyriens contre l’Égypte, le force à battre en retraite vers le royaume de Koush, où il devait mourir en 664. Quant au dernier pharaon noir, Tanoutamon Bakaré (664-656), fils de Shabaka, il fut couronné dans le temple d’Amon du Gebel Barkal. Quant aux Nubiens, ils furent donc vaincus une première fois à Memphis vers 671 avant notre ère, puis défaite une dernière fois par les Assyriens qui saccageront Thèbes, en 663 avant notre ère. Par la suite et durant quatre siècles, allaient se succéder des souverains qui n’exerceront plus leur pouvoir que sur la Nubie. Mais longtemps après sa séparation avec l’Egypte, cette civilisation totalement négro-africaine continua d’adorer le dieu Amon, utilisant pour ses temples et ses monuments, l’écriture hiéroglyphique et usant de la langue sémite égyptienne. Contrairement à la thèse de Cheikh Anta Diop qui « négrifie » et ramène tout à une seule « Egypte totalement nègre », la réalité est toute autre. Il est vrai que les intellectuels africains anglophones s’intéressent très peu à la thèse de Cheikh Anta Diop. Mais ce dernier est-il sorti une seule fois des bibliothèques, bureaux ou de son laboratoire (IFAN), pour aller vérifier sur place, ce qu’en pensent les chercheurs soudano-nubiens, premiers concernés par cet important chapitre de l’histoire de l’Afrique ? Non, mais moi en anthropologue de terrain, je l’ai fait à deux reprises.
Mes différents entretiens avec des historiens ou anthropologues soudanais comme Abdel Wahab, Hadj Salem et Hosmine Kelali – que j’ai remerciés pour m’avoir grandement aidé dans certains travaux (voire de mon ouvrage « Le Génocide voilé » Gallimard 2008) -, m’ont renforcé dans la conviction, qu’il a bien existé à un moment de l’histoire, une Egypte dominée et administrée par des Nègres nubiens, et non une Egypte totalement négro-africaine. Leurs deux peuples sémite et nègre (Egyptiens et Nubiens), ont été ainsi, très profondément imbriqués, tant dans leur dimension spatiale que culturelle. Et nous ne devons pas la diffusion de tous les éléments culturels (linguistiques et autres) de l’ancienne Egypte, et présents encore dans certaines sociétés d’Afrique noire – si bien exploités par Cheikh Anta Diop et Théophile Obenga -, aux Egyptiens eux-mêmes. Cette « marque », résulte du gigantesque mouvement de populations, qui s’est opéré sur l’ensemble du continent, vers le début de l’ère chrétienne. Ce phénomène appelé « La Grande dispersion des Bantous », s’est étalé sur une très grande échelle d’espace et de temps. Il est de nos jours établi que les plus lointains ancêtres de ces Bantous vivaient dans la partie du Haut Nil, comprise entre les 17ème et 21ème parallèles. Ces descendants des actuels Noirs soudanais ou Nubiens, ont formé une partie des populations des royaumes de Koush, de Napata et de Méroé vers le 7ème siècle avant notre ère. C’est au fur et à mesure de la perte de leurs terres fertiles, qu’ils furent contraints à envisager un déménagement sur de longues distances et qui les a amenés jusqu’en Afrique du Sud. On trouve ainsi leurs traces, dans toutes les régions faisant tampon, entre le Nord du continent et l’Afrique sub-saharienne, jusqu’au Sud. Nul n’ignore le Grand Zimbabwe, qui connut son essor entre les IXème et le XVème siècle, et dispose de structures identiques à celles de l’Egypte et de la Nubie. Elles sont les plus imposantes découvertes architecturales de l’Afrique noire. C’est du coté de l’apport de ces peuples immigrants, dont les ancêtres venaient du Haut Nil, précisément des royaumes de Koush, de Napata et de Méroé, qu’il faut chercher les origines de la diffusion des éléments culturels communs à certains peuples négro-africains et l’Egypte antique, comme les mystères du Grand Zimbabwe bâti par le peuple shona, et dont l’architecture est si proche du génie égyptien. Cheikh Anta Diop ne pouvait l’ignorer. La question est donc : dans sa contre-offensive face aux idéologues, colonialistes et négrophobes, a t-il volontairement pris quelques aises avec la réalité historique ? A-t-il exagéré, franchissant la frontière « ethnique » entre Noirs nubiens et Sémites égyptiens, en absorbant toute la civilisation pharaonique, pour mieux placer le Nègre au-dessus de tout ? Seul lui le savait et emportera son secret dans la tombe…
Quant à la vraie genèse de la civilisation égyptienne elle-même, j’ai déjà exposé ma pensée sur la question lors de la première intervention, inutile d’y revenir. Il est vrai que la linguistique, la paléontologie, l’anthropologie physique et, surtout, l’égyptologie – comme spécialisation de l’archéologie – ont contribué, chacune à leur manière, à faire de l’Égypte – de son passé et de ses populations – le point « d’émergence » de toutes les civilisations humaines. Pour autant, la recherche historique et anthropologique a formellement établi, que les Sumériens, Assyriens, Égyptiens, comme la plupart des peuples du Nord de l’Afrique donnant sur la Méditerranée, échangèrent pendant longtemps et en priorité leurs connaissances et leurs expériences, avec des peuples et des cultures du Moyen – Orient et de l’Asie. Ce qui a ainsi logiquement engendré un développement culturel multicentré dans l’ancienne Méditerranée orientale. Ceci pendant que l’Afrique noire isolée par l’immensité du Sahara, restait pendant longtemps, l’une des rares parties du monde hors de cette forme « d’enrichissement diffusable » et favorisé par l’écriture et les sciences mathématiques et autres. Pendant que celles-ci bénéficiaient aux peuples du Croissant Fertile, à ceux d’Europe et d’Asie, la plupart de ses sociétés sont restées et restent pour l’essentiel orales. Ainsi, ces sociétés de l’Afrique noire subsaharienne n’ont pu en aucun cas, être à l’origine de l’essor de la civilisation égyptienne pharaonique. Tenter de démontrer le contraire relèverait de l’absurde et un défi au bon sens. Enfin de nos jours nul ne peut nier que pour ce qui est de « L’Egypte négro-africaine », Cheikh Anta Diop avait quelques fois choisi une démarche mêlant recherches scientifiques, idéologie voire approche militante. Il y avait forcément été obligé. Comment faire autrement face aux tenants du « paradigme alors dominant, selon lequel, les grandes civilisations ne pouvaient être associées qu’au type caucasoïde » ? Et au demeurant les choses ne sont pas si simples. A la question : Les Noirs ont-ils civilisé le monde par l’Egypte ? La réponse serait oui et non. Oui, si l’on considère que les Negro-nubiens sous la XXVème dynastie ont freiné la décadence de l’Egypte et porté haut le flambeau de cette civilisation de -751 à -656. Les pharaons noirs (les plus actifs), Piyé Menkheperret, Taharqa Nefertemkhoure et Tanoutamon Bakaré, ont soumis totalement l’Égypte, alors affaiblie par des Raméssides, en réunifiant le Nord et le Sud. Sous leur règne, l’empire bénéficia d’une politique de stabilité et de paix. Ils ont restauré la Maât et préservé l’empire d’Amon de Napata. Piyé aura appliqué un programme religieux grandiose et sans précédent. C’est le grand Taharqa qui réalisa la construction ou la rénovation des temples de l’empire et fit ériger, au pied du Gebel Barkal, qu’on peut encore admirer au Soudan actuel, un temple dédié à Amon qui rivalisait de grandeur avec celui de Karnak, pendant que l’Égypte et la Nubie vivaient une période de paix et de prospérité. Ces pharaons ont toujours fait face héroïquement taux assaut des Assyriens, avant d’être défaits.
Mais à la question : L’Egypte antique était-elle totalement peuplée de Nègres, qui : « auraient civilisé la Grèce, donc les Noirs ont civilisé le Nord, l’Europe et ses Blancs arrogants ? La réponse est non. Aussi, par le passé la thèse de Cheikh Anta Diop a été une réponse circonstanciée aux thèses des chercheurs euro centristes, idéologues, négrophobes et fait « du bien » à nos anciens sous domination. De nos jours les chercheurs africains – qui ont le confort de travailler dans un monde postcolonial et d’interdépendance économique et culturelle, où la circulation des hommes, des idées et des découvertes en temps réel, empêche toute falsification de l’histoire des autres – n’ont pas besoin de revendiquer des civilisations qui ne seraient pas les leurs, ou de tenter de « négrifier » des personnages qui ne le seraient pas. Comme les temps changent, la démarche des chercheurs doit aussi évoluer… Pour autant, si Cheikh Anta Diop pouvait m’entendre je lui dirais au sujet de sa thèse sur l’Egypte antique, suivant le mot prêté à Voltaire « Même si je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire ». Il est notoirement connu que ma thèse, diffère grandement la sienne (seul point de divergence d’ailleurs), mais ainsi va la recherche. Cependant, l’œuvre de ce grand chercheur africain ne se résume pas à son travail sur « L’Egypte négro-africaine ». Son immense effort pour la mise en valeur des civilisations négro-africaines, la conscience historique de l’homme noir, le futur culturel, économique et politique d’un continent à la traine, sans oublier les pistes éclairées qu’il propose, pour une véritable renaissance africaine, méritent d’être largement connus par les générations actuelles et futures. Ben que j’exclue la « réappropriation » d’un hypothétique modèle historique de l’Egypte Antique, comme paradigme idéal pour une véritable renaissance africaine, le reste de l’œuvre de Cheikh Anta Diop qui a fait date et le restera, doit être entièrement intégrée dans notre patrimoine culturel. Dans cet esprit, j’encourage et soutiens sans retenue, le mouvement qui œuvre pour l’enseignement de tous ses travaux dans les institutions scolaires et universitaires africaines. Enfin, cher Pofrima, au terme de cette participation, je voudrais remercier tous les intervenants, particulièrement Grégoire Biyogo, pour leurs contributions hautement érudites, dans un échange qui témoigne de la vitalité de la recherche africaine.
Cordialement